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Journal de la Bourse du travail occupée

numéro 2, dimanche 6 juillet 2008

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Le jeudi 3 et le vendredi 4 juillet auront été bien chargés - au-delà des tâches quotidiennes demandées par une occupation longue et d'envergure - pour les gens de la Bourse du travail. Avec ces deux journées nous voilà enfin au coeur du sujet, peut-être même à un tournant dans les discussions avec la préfecture.
Cela a débuté jeudi, à midi, par une manifestation « sauvage » de presque un millier de personnes jusqu'à devant la préfecture, et cela a continué, jeudi même et vendredi, par toute une série de rencontres et de réunions. En voici la succession. Une délégation de dix personnes (deux délégués de la coordination 75 et, pour le reste, des membres de l'intersyndicale et des associations) reçue en préfecture en même temps que les manifestants restaient sur la place. Puis, dans l'après-midi, deux réunions : des délégués et de ceux-ci avec l'intersyndicale et les associations. Vendredi matin, nouvelle rencontre à la préfecture (délégation de cinq personnes, dont deux de la coordination). Dans l'après-midi, nouvelle réunion des délégués entre eux, puis, à 18 heures, assemblée générale des occupants dans la grande salle de la Bourse du travail ; voici comment cela s'est passé à la préfecture. Le récit est de Sissoko, le coordinateur de la CSP 75.

« Dans la première rencontre de jeudi, nous avons mis l'accent (appuyés par l'intersyndicale et les associations) sur notre exigence d'un dépôt groupé des 1300 dossiers de l'occupation, de leur traitement et suivi en dehors de la logique du cas par cas. La préfecture a objecté que la nôtre n'était pas la bonne méthode. On a donc fixé un autre rendez-vous au lendemain matin, pour discuter de la méthode.
« Jeudi après-midi, dans deux réunions, des délégués entre eux et avec l'intersyndicale et les associations, ce qu'on a essayé de mettre au point c'est donc des critères permettant de dépasser le strict cas par cas de la préfecture. Il faut souligner que là-dessus l'accord a été général.
« Vendredi matin, à la préfecture, nous avons donc présenté tous ensemble un projet de dépôt des dossiers au nombre de 60 par jour dans chacun de deux CRE (centre de réception des étrangers) de Paris, c'est-à-dire 120 dossiers par jour, ce qui aurait permis d'épuiser les 1300 dossiers dans moins de deux semaines.
« La préfecture a refusé ce projet, en soutenant de nouveau que ce ne pouvait être la bonne méthode, en particulier concernant l'aspect du dépôt groupé des dossiers, contraire aux dispositions reçues du ministère de l'immigration. ( Nous avons donc demandé, nous, l'intersyndicale et les associations, à ce ministère de nous fixer un rendez-vous afin de discuter spécifiquement ce point litigieux.)

« Mais en même temps, nous pensons qu'on a fait là une avancée, qu'il y a du positif. La préfecture a accepté d'étudier tous les dossiers et de le faire avec des critères élargis, en donnant aussi une certaine garantie. Elle a accepté le principe de la mise en place d'une commission de suivi des dossiers, à laquelle des délégués de la coordination 75 participeraient, ce qui est important pour dépasser de fait le cas par cas. Pour cela, on peut affirmer déjà que par notre occupation de la Bourse du travail on a réussi à arracher ce point important que les dossiers des occupants seront traité d'une manière "privilégiée" par rapport à ce qu'on fait d'habitude avec les dossiers des sans-papiers, et c'est là une victoire pour eux et aussi pour tous les sans-papiers qui viendront après eux.
« La préfecture nous a en effet proposé de commencer par présenter une dizaine de dossiers distincts d'après les critères du travail, de la situation familiale, des attaches familiales, et de la durée de séjour. Ces dossiers doivent constituer des échantillons des dépôts ultérieurs. Un nouveau rendez-vous est fixé pour mardi 8, à la fois pour la présentation de ces échantillons et pour discuter des délais des dépôts suivants.
« Il ne faut pas sous-estimer ce fait. C'est ainsi le cadre du principe du travail qui est, de fait, mis de côté, pour les régularisations des travailleurs sans-papiers isolés qui occupent la Bourse du travail, et qui, justement, l'ont occupée pour cela. Car la réalité c'est que personne ou presque parmi les travailleurs isolés ne peut concrètement remplir les conditions requises par la loi, trouver, par exemple, l'engagement du patron à payer la taxe de l'ANAEM, avec les conséquences légales et fiscales que cela comporterait pour toutes les années précédentes non déclarées.
« Vendredi après-midi, les délégués se sont donc réunis et on a discuté de cette méthode des échantillons proposée par la préfecture. Deux positions se sont exprimées. La mienne propre, très insatisfaite, à vrai dire, des résultats obtenus, et puis une autre, qui a jugé que cela était tout de même une avancée concrète vers des régularisations pour tout le monde. Finalement, on a tous accepté par souci d'efficacité, et l'on s'est mis d'accord pour présenter à la préfecture, dans la prochaine rencontre du 8, les premiers échantillons demandés, selon huit critères plus détaillés élaborés par nous, en tenant compte des situations concrètes des dossiers, d'après les critères plus généraux indiqués par la préfecture. Je précise que le tri des dossiers selon ces huit critères sera fait par nous. Que pour la régularisation il suffira d'en remplir un.
« La réunion des délégués a décidé, en outre, d'évacuer les troisième et quatrième étage de la Bourse du travail. Cela, parce qu'on a vu des avancées de la part de l'intersyndicale, elle nous a soutenus dans ces deux rencontres avec la préfecture. Nous on le fait donc en signe de bonne volonté envers les syndicats, qui pourront ainsi reprendre leur travail à ces deux étages.
« En guise de commentaire final, je peux dire que, quant à moi, la seule satisfaction de ces résultats, que je juge pour l'instant assez maigres, c'est que, à la différence de notre mobilisation de 2002 à la Bourse de la rue Château d'Eau, quand nous avions déposé 5000 dossiers vite finis tous dans les sacs à poubelle, cette fois-ci il semble que la forme de lutte que nous avons adoptée, et notre détermination à la poursuivre coûte que coûte, vont aboutir à de réelles régularisations. »

Voici donc les huit critères que la coordination 75 va proposer à la préfecture dans la prochaine rencontre du 8 juillet, et qui vont sans doute faire la une des discussions et, en partie du moins, la satisfaction des occupants de la Bourse du travail ces jours-ci. (On notera que seuls les deuxième et troisième restent « dans le cadre du travail », et que d'autres rentrent dans un cadre « humanitaire ».)

1. Durée de séjour de dix ans.

2. Attache familiale (mère, père, frère, soeur, demi-frère, demi-soeur en situation régulière).

3. « Allias » (c'est-à-dire, travailleur avec de vrais papiers mais de quelqu'un d'autre). 4. Faux papiers (travailleur qui, pour travailler, a dû se procurer de faux papiers).

5. Intégration (dans la société française, par des attestations d'assiduité aux cours de langue délivrées par des associations).

6. Familles avec des enfants scolarisés.

7. Vie commune (époux ou épouse en France depuis 5 ans, si l'un des deux se trouve en France, sans papiers, depuis 10 ans).

8. « Moitiés régularisés » (régularisation des membres des familles dont l'un est déjà régularisé). (On précise que les régularisations pour des motifs de santé devront être traitées dans un autre cadre, puisque cela relève de la compétence d'un autre service de la préfecture.)

À l'assemblée générale de 18 heures, décidée sur le moment, étaient présents quelque 200 occupants. Plusieurs délégués sont intervenus pour expliquer les différents points et aspects abordés par Sissoko dans son récit rapporté ci-dessus, et aussi pour souligner la nécessité de continuer de toute façon la lutte. Une discussion a suivi. Le point qui a le plus suscité la perplexité, c'est la décision de quitter les troisième et quatrième étages. Cela, non seulement de la part de ceux qui y ont vu le risque d'un début de démobilisation, mais aussi de ceux qui ont fait remarquer l'impraticabilité d'une telle décision, qui conduirait à contraindre un nombre important de personnes dans des espaces encore plus restreints que les actuels, déjà très restreints, ou sinon à s'éloigner de l'occupation. Mais ce n'ont été que des voix isolées.
Pour finir, ajoutons cette précision apportée par Sissoko en répondant à une question. Les travailleurs maghrébins de l'occupation rentreront eux aussi dans le cadre du tri selon les huit critères ci-dessus, et ceci indépendamment du fait qu'ils soient exclus, par des accords intergouvernementaux, des régularisations dans le cadre du travail, car le principe des critères élargis accepté par la préfecture dépasse de fait le traitement des dossiers au cas par cas.

 


Adama et Dansokho, rescapés de l'incendie du CRA de Vincennes, portent leurs témoignages.

Depuis le début de l'occupation de la Bourse du travail, cinq adhérents à la coordination 75 ont été arrêtés dans des circonstances différentes. Grâce aussi à la mobilisation qui a suivi ces arrestations, ils ont tous été libérés. Quatre étaient détenus au camp de rétention de Vincennes lors de l'incendie qui l'a détruit. Le Journal de la Bourse du travail occupée en a interviewé deux, Adama et Dansokho. Ce qui suit est le récit de leur témoignage.

Adama est ivoirien, il est en France depuis 2001, où il a demandé l'asile politique en tant que membre du RDR (ressemblement des républicains), principal parti d'opposition en Côte-d'Ivoire. Jusqu'en 2003, il a obtenu des récépissés renouvelés tous les trois mois, mais depuis, il est travailleur sans-papiers isolé dans la sécurité. Membre de la coordination 75 depuis 2006, il participe activement à l'occupation de la Bourse du travail et il s'occupe surtout de l'achat de nourriture. Justement, il était à Barbès pour de tels achats quand il a été arrêté, le dimanche 25 mai, suite à une amende pour sa voiture mal garée. Après l'incendie de Vincennes, il a été emmené au CRA de Lille. Il a été libéré deux jours avant l'expiration du délai légal de rétention (32 jours).
Adama insiste sur son cas personnel parce qu'il lui semble révélateur de la manière dont sont traités les dossiers des détenus dans les CRA. Étant à Vincennes, il a déposé une demande de réexamen de sa demande d'asile. Il a essuyé un nouveau rejet, mais, d'après les motivations, il a compris que l'OFPRA n'avait pas reçu son dossier en entier. Tant il est vrai que cet organisme aurait dû lui rendre toutes les pièces du dossier, mais ne lui a rendu finalement que sa carte de membre du parti. Son dossier semble avoir bel et bien disparu.

Dansokho, sénégalais, est en France depuis 2004. Lui aussi a demandé l'asile politique, mais il n'a obtenu qu'un seul récépissé d'un mois. Il est travailleur sans-papiers isolé. Il a d'abord travaillé dans le nettoyage, et travaille maintenant comme cuisinier (son métier, appris au Sénégal) dans un restaurant parisien (cuisine française). Il est membre de Droits devant !! depuis 2005 et du collectif 75 depuis janvier 2008.
Il a été arrêté le 18 juin au métro Stalingrad lorsqu'il rentrait chez lui pour prendre une douche, après trois jours passés à l'occupation. Lors de son arrestation il a été emmené à la préfecture à Cité. Le gradé de service lui a refusé la visite d'un médecin (ce qui, notez bien, constitue un droit). Dansokho est malade du dos, ce pour quoi il suit des soins depuis quatre ans, et il en souffrait au moment de son arrestation. Il a pu voir un médecin le lendemain à Vincennes, et celui-ci lui a donné une pommade et du doliprane (le remède universel administré dans les centres de rétention). Après l'incendie, il a été emmené à Lille, d'où il est sorti libre le mercredi suivant pour vice de procédure, son éloignement l'ayant empêché d'être présent au tribunal de Paris au moment de son jugement.

La situation à Vincennes avant l'incendie

« Il faut tout d'abord préciser que le CRA de Vincennes, ce sont en fait deux centres distincts, du moins pour ce qui concerne les détenus. Nous, nous étions tous les deux au numéro 1, la personne décédée était au 2. Mais tous ceux qui étaient au 1 ont quand même su que des événements se passaient dans le 2. Entre les deux centres on peut communiquer au tribunal, pendant les visites, par téléphone... Et l'on peut aussi voir à travers les grilles si des mouvements importants de personnes se passent dans l'autre centre. « Avant que Vincennes ne brûle, l'ambiance au CRA 1 était assez calme. Il y avait quelques personnes en grève de la faim, quelques protestations collectives ou individuelles, mais pas tous les jours, ce n'était pas très agité. Les gens crient parfois, ils veulent faire connaître à l'extérieur la situation du dedans. Ceux du dehors ne connaissent pas les conditions dans les camps. » À ces mots, le souvenir et l'amertume d'Adama s'avivent : « Moi, j'ai souvent pleuré pendant que j'étais au CRA... J'ai des camarades... des tentatives de suicide, ils sont tombés devant moi... Mais, malgré tout cela, ils sont tout de même expulsés... On ne nous croit pas, mais les sans-papiers ne sont pas des criminels, on n'est pas des assassins, des voleurs... on est d'honnêtes travailleurs... mais on nous traite comme si on était des voleurs. Il y a des camarades qui sont malades, et ils sont arrêtés, emmenés quand même au CRA... C'est cela qui a conduit à cette mort. La personne décédée était malade. « Quand tu es malade, ce n'est presque toujours qu'un seul et même médicament pour tout le monde, le fameux doliprane. Moi je suis hypertendu, j'ai habituellement mes médicaments sur moi, au CRA ils ont appelé mon médecin qui m'a prescrit mes médicaments, mais je n'ai eu finalement droit qu'à des somnifères, et puis à quelque chose d'autre que je ne connais pas et dont j'ai oublié le nom. « Il y a des gens qui avalent n'importe quoi pour échapper à l'avion qui doit les rapatrier. Mais ils sont expulsés quand même. Après dix ans, treize ans passés sur le territoire français, ça fait mal, c'est dur... C'est inhumain, un tel traitement, vraiment. »

L'incendie

« C'est samedi 21 vers 13 heures que tout a commencé. Beaucoup de flics sont entrés à l'intérieur. On entendait des protestations, des cris du côté du 2, puis ils ont fait une marche silencieuse en l'honneur du camarade décédé (au 1, on voulait faire la même chose le lendemain, mais la police nous en a empêché). Donc on a su que quelque chose se passait au 2, car les policiers couraient de tous les côtés, puis, tout à coup, il y a eu là-bas des gaz lacrymogènes, on sentait l'odeur. Et on a su qu'un camarade était décédé. De notre bâtiment, on voit un peu la cour d'entrée, on est allé voir à travers les grilles, on a vu les pompiers qui venaient, le SAMU après. Il y avait beaucoup de sirènes, des cris, et ensuite ceux de l'autre centre nous ont confirmé qu'une personne était morte (un Tunisien agé de 41 ans, malade, mort de crise cardiaque, dit-on, le jour avant pendant sa sieste).
« Dans le CRA 2, les gens n'ont pas dormi de la nuit parce qu'il y avait partout des gaz lacrymogènes. Le dimanche matin, chez nous, au 1, a été calme, rien ne s'est passé.
« L'après-midi, nous étions couchés, lorsque Adama a reçu un coup de fil. C'était vers treize-quatorze heures. Des gens s'étaient groupés dans notre cour, il y avait un attroupement. Les flics étaient près du grillage. Ce qu'on voulait faire, c'était nous aussi une minute de silence en l'honneur du défunt, comme ils l'avaient fait la veille au 2. C'est à ce moment qu'on s'est aperçu qu'il y avait le feu dans l'autre centre, on voyait de la fumée qui sortait du bâtiment (il faut préciser que déjà la veille il y avait eu le feu dans le bâtiment du CRA 2, on voyait la fumée qui sortait par le toit, mais cet incendie avait été vite maîtrisé, une petite demi-heure plus tard, par les pompiers). Les flics sont donc entrés dans notre cour pour emmener une personne, les camarades se sont opposés. Des cris, des gaz lagrimogènes pour nous disperser... Un camarade a reçu le gaz en plein visage, il a été emmené par Adama dans sa chambre, on l'a aidé. Entre-temps dans la cour ils ont tiré encore davantage de grenades lacrymogènes. Puis, tout à coup, le feu a pris aussi au CRA 1, d'abord à un coin et ensuite à l'autre de l'ancien bâtiment (le deuxième du CRA 1). Les policiers ont emmené la personne et sont sortis de notre cour en lançant d'autres grenades, nous on s'est réfugiés dans le premier bâtiment, eux, au lieu de s'occuper du feu, ont continué à lancer plein de grenades lacrimogènes, jusqu'à l'intérieur du bâtiment. C'est seulement à ce moment, une bonne demie heure après le déclenchement du feu, que les pompiers sont arrivés avec le SAMU. Et après les pompiers, les CRS.
« Avant qu'ils ne commencent à éteindre le feu, une autre demie heure s'est écoulée, afin de bien se positionner car il y avait beaucoup de fumée. Nous n'avons aucune idée de qui a pu mettre le feu et comment, mais, franchement, nous avons du mal à concevoir que ça puisse avoir été les détenus, pratiquement en même temps à plusieurs endroits, car nous ne pouvons pas garder des allumettes ou des briquets sur nous, et même pour fumer nous devons demander à un garde, et ce n'est pas toujours facile à obtenir.
« Avant que les pompiers ne commencent à éteindre le feu, les policiers nous ont fait évacuer le premier bâtiment, juste avant que celui-ci aussi ne soit la proie du feu. Nous avons été conduits au gymnase, qui se trouve à côté du CRA 1, mais là aussi il y avait plein de fumée et de gaz, beaucoup de personnes se sentaient mal, s'évanouissaient, tombaient par terre, donc nous avons été emmenés dans la cour d'entrée commune aux deux centres, où il y avait un peu moins de fumée. Nous sommes restés là très, très longtemps, debout et les mains sur la tête, peut-être cinq six heures, avant que, après minuit, ne commence notre évacuation vers d'autres centres. En fait, dans cette cour, nous sommes restés peut-être trois ou quatre heures au beau milieu de la fumée et des gaz lacrymogènes, car ce n'est peut-être que deux heures avant notre évacuation que le feu a été éteint.
« L'évacuation s'est faite tranquillement, c'est la gendarmerie qui l'a faite. Nous deux, nous avons été emmenés à Lille avec une cinquantaine d'autres détenus, dans un ancien centre désaffecté depuis 2006. Là, nous n'avons plus parlé des événements de Vincennes, sans doute parce que nous étions traumatisés. Nous n'avons donc pas d'autres renseignements, nous n'en avons pas parlé avec les autres camarades qui étaient avec nous à Lille. Ce que nous attendions avec impatience c'était notre libération, car nos avocats et la Cimade nous l'avaient annoncée.
« Nous avons été libérés tous les deux le 25 juin, mais pas en même temps. Dansokho le matin, et il est rentré à Paris en TGV. Moi, Adama, j'ai été libéré à midi, et, avant de rentrer à Paris, j'ai été accueilli par un curé rencontré sur la grand-route. Je suis resté chez lui l'après-midi, jusqu'à ce que deux soutiens de Paris (N. et P.) viennent me chercher en voiture. Le lendemain ça a été la fête à l'occupation de la Bourse du travail.
»

 



« Les sans-papiers vivent en dehors de nos lois et statuts, et il est tragique, comme Walter Williams le souligne, qu'ils soient un gain net aussi longtemps qu'ils demeurent non déclarés ; la nation y gagne et eux aussi. Ils ne seraient point chez nous s'ils n'y gagnaient rien. Il est tragique que nous ayons des politiques telles que si nous en faisons des immigrants légaux, il n'est plus clair que nous y gagnerons. Ils y gagneraient peut être, mais pas nous forcément. »

Milton Friedman Prix Nobel d'économie et chantre du libéralisme américain

 

Vous demandiez-vous les raisons de tant d'acharnement des gouvernements occidentaux contre les sans-papiers, contre les travailleurs qu'on dit « clandestins » ? L'économie dite « libérale » a ses raisons et elles sont de très simples et bonnes raisons. Les sans-papiers ne sont une affaire que s'ils restent... sans papiers.

 


Ce qu'on dit de nous

Le Journal du Dimanche, 3 mai 2008

« Du soutien, ils en ont besoin et continuent d'en réclamer. Mais que l'on récupère leur mouvement, ils ne le tolèreront pas. Samedi, entre 200 et 300 travailleurs sans-papiers ont occupé le siège de l'Union départementale-CGT à Paris (...). La CGT négocierait selon eux "en catimini" avec l'association Droits Devant! - à l'origine du mouvement lancé le 15 avril dernier. Depuis, des collectifs "indépendants", réunis en "coordination 75", ont apporté un millier de dossiers supplémentaires à la préfecture de Paris. Or, ils se sont vu opposer une fin de non recevoir. Ce qu'ils jugent inadmissible, étant donné que les immigrés qui postulent sont exactement dans le même cas que ceux soutenus par la CGT et Droits devant!. Ils travaillent, sont déclarés et payent des impôts, mais n'ont malgré tout pas de titre de séjour. (...) Selon Patrick Picard, secrétaire général de l'UD-CGT à Paris, il s'agit d'une malheureuse méprise. (...) Il regrette la "lourde responsabilité" de la préfecture, qui ne fait que "contribuer à l'exaspération des travailleurs". L'occupation, qui a débuté vendredi à 14h30 dans l'annexe de la Bourse du Travail, rue Charlot, se déroule néanmoins dans le calme et devrait de se prolonger tout le week-end. »

La Croix, le 22 mai

« Depuis trois semaines, des centaines d'immigrés occupent la Bourse du travail, à Paris, pour réclamer une régularisation générale. Ils n'ont pas l'intention de bouger. "Nous resterons là le temps qu'il faudra. Il faut être patient mais on a l'expérience. Cela fait douze ans qu'on se bat pour la régularisation de tous les sans-papiers", martèle Sissoko Anzoumane. (...) Selon les organisateurs, ils sont maintenant plus d'un millier à se relayer jour et nuit dans ces bâtiments situés à deux pas de la place de la République, dans le 3e arrondissement. (...) Ils ont installé des matelas dans l'amphithéâtre. Plusieurs centaines de personnes peuvent désormais y dormir. Comme le prouve la propreté des lieux, l'organisation est bien maîtrisée. (...) "Il y a deux luttes, répète Sissoko. L'une se joue dans les entreprises, où il y a suffisamment de salariés pour avoir une représentation syndicale. Et puis il y a la nôtre, qui défend la cause de tous les travailleurs isolés." »

L'Humanité, le 5 mai

« L'action coup de poing des collectifs parisiens sème le trouble. (...) Ayant le sentiment d'avoir été mise à l'écart de la grève des travailleurs sans papiers, la coordination parisienne décide de demander des comptes à ses principaux initiateurs. (...) "Dès le 17 avril, soit deux jours après le début de la grève, nous avions 300 travailleurs sans papiers prêts à rejoindre le mouvement, qui ne comptait alors que 150 grévistes. Mais la CGT a refusé alors que nos dossiers sont similaires à ceux que le syndicat a déposés dans les préfectures", précise Anzoumane Sissoko (...).
"On ne peut, au pied levé, envoyer des travailleurs sans papiers en grève alors que, souvent, ils sont isolés dans leur entreprise. Il faut les regrouper et préparer le soutien", explique la CGT, qui ne cautionne pas l'occupation de ses locaux. "Cela ne sert à rien. Nous n'avons aucun pouvoir pour régulariser", rappelle Christian Khalifa, un de ses responsables parisiens. Pour le syndicat, le principal responsable de cette opération est bien le gouvernement. "En montant cette provocation et en voulant dresser les sans-papiers les uns contre les autres, la préfecture veut casser le mouvement des grévistes qui occupent leur entreprise." (...) L'élargissement du mouvement est une possibilité que ne s'interdisent ni la CGT ni Droits devant ! Mais les résultats de l'examen des 1.000 premiers dossiers restent le point de repère. Si leur régularisation est obtenue, la brèche sera d'autant plus grande. Si le gouvernement rechigne, la grève s'amplifiera. Quoi qu'il en soit, coordination et syndicat n'ont pas d'autre choix que de travailler dans l'unité. Car devant ce dialogue de sourds, Sarkozy et Hortefeux se frottent déjà les mains.
»

Metro, le 5 mai

« Dans l'annexe de la Bourse du travail, l'ambiance est électrique. La cour intérieure du bâtiment a été investie par des familles, avec des enfants, qui campent sur place. Des matelas ont été installés sur le sol et les hommes palabrent à haute voix. Ici, chacun s'improvise porte-parole. "Je suis en grève depuis vendredi, témoigne Datt Samba, cuisinier dans un restaurant du IIe. La CGT nous a écartés des négociations. Pourtant, je suis là depuis huit ans, je gagne le Smic et je paye des impôts, comme les autres." Situation également tendue à l'étage, où des responsables de la CGT assurent une permanence discrète. "Ce collectif insinue que la CGT serait complice du gouvernement, comme si notre syndicat décidait des régularisations, s'insurge Didier Le Reste, de la Fédération nationale CGT-Cheminots. (...)" Le responsable du syndicat estime que la stratégie de la CGT pour la régularisation des sans-papiers "dérange un certain nombre de personnes" et il s'inquiète d'une éventuelle "instrumentalisation" du collectif. »

Rue89, le 6 mai

« "C'est un énorme malentendu entre les sans-papiers et la CGT, qui a décidé de faire cavalier seul alors qu'elle nous avait promis qu'on travaillerait main dans la main. Aujourd'hui, nous sommes pris entre deux feux, (...)" explique Djibril Diaby. (...) Dans la Bourse du travail, le rapport de force s'installe et plusieurs grimacent que "sans les sans-papiers, il aurait eu moins de gueule, leur défilé du 1er mai, à la télévision le soir". (...) Devant le bâtiment de la rue Charlot, une poignée de leaders cégétistes. (...) Parmi eux, Françoise Riou. Ancienne conseillère confédérale en charge du dossier des sans-papiers à la CGT, elle a démissionné de ses fonctions fin janvier (...) : "La CGT a régressé par rapport à ses ambitions de départ. On va négocier avec Hortefeux pour mille d'entre eux, et on laisse tomber les autres? C'est scandaleux!" »

Le Figaro, le 6 mai

« L'union départementale parisienne de la CGT a annoncé aujourd'hui qu'elle n'envisageait pas de faire évacuer par les forces de l'ordre ses locaux de la Bourse du travail de Paris (IIIe) occupés depuis vendredi par plusieurs centaines de sans-papiers de la Coordination 75. "Cette provocation de la préfecture a conduit des sans-papiers à se tromper de cible. La CGT regrette cette occupation car la véritable cible est Sarkozy, son gouvernement et le patronat", souligne un communiqué, qui réaffirme toutefois le refus du syndicat de déposer pour l'instant de nouveaux dossiers de régularisation. »

Libération, le 6 mai

« Aujourd'hui, les occupants des lieux ont décidé de passer l'après-midi dans la rue. "On est là pour être vus. Et puis ça fait du bien de prendre un peu l'air." Le délégué rit, le moral est bon. (...) Marylène Cahouet et Daniel Rallet font partie du collectif Uni(e)s contre une immigration jetable (UCIJ) : "Nous soutenons tous les sans-papiers. (...) Il y a eu une incompréhension avec la CGT. L'ennemi est commun: c'est Brice Hortefeux." Pour eux, le malentendu s'explique par des maladresses. "La stratégie syndicale, c'est la grève. Les sans-papiers, eux, ont plutôt l'habitude d'occuper des lieux, comme des églises, ou la Bourse." »

Les Echos, le 6 mai

« C'est l'arroseur arrosé : après avoir lancé, le 15 avril, la grève des salariés sans-papiers, la CGT voit, depuis jeudi, plusieurs centaines de sans-papiers occuper les locaux de son union départementale (UD), au centre de Paris. La coordination 75, qui regroupe quatre collectifs parisiens, l'accuse d'avoir "pris le mouvement en otage" et de l'avoir sciemment exclue des discussions avec le ministère de l'Immigration en échange, selon elle, de la bienveillance du gouvernement sur les 1.000 dossiers défendus par la CGT. (...) Prise en étau, la CGT récuse ces accusations : "Ils se trompent de cible ; la véritable cible est le gouvernement et le patronat", explique, en vain pour l'instant, l'UD de Paris. Mais si elle réaffirme son soutien à "tous" les sans-papiers, elle refuse de se laisser dicter l'approche à suivre : (...) "La priorité est l'efficacité, pas la surenchère. On observe l'attitude des préfectures sur les dossiers en cours, et ensuite, on sera mieux armé pour aider les autres salariés à monter leurs demandes individuelles", justifie la secrétaire confédérale en charge du dossier. De son côté, le ministère de l'Immigration se tient à distance. (...) Au moment où le conflit menace de reprendre et de s'engluer, le cabinet du ministre Brice Hortefeux rappelle ainsi sa "fermeté" et sa volonté de s'en tenir à des examens "au cas par cas". Et charge à la CGT de gérer les espoirs qu'elle a fait naître. »

Libération, le 6 mai 2008

« Sur les murs de la Bourse du travail rue Charlot à Paris, des photos. (...) Des hommes et des femmes, deux par deux, (...) l'un tient une pièce d'identité bien en évidence devant l'objectif (...) "Il s'agit simplement de montrer, par ces photos, que la seule différence entre ces travailleurs et les autres, c'est un bout de papier", explique le photographe Fabien Breuvart. »

Le Monde Diplomatique, Juin 2008

« Mme Francine Blanche, secrétaire confédérale à la CGT, estime que la portée du mouvement dépasse la notion d'"esclavage moderne". Les travailleurs sans papiers, explique-t-elle, sont les "délocalisés d'entreprises non délocalisables". La formulation a le mérite de souligner que les "avantages compétitifs" ne sont pas l'apanage de pays où se pratiquent des bas salaires. (...) En février dernier, une grève est organisée dans un restaurant de l'avenue de la Grande-Armée. Sept cuisiniers sont régularisés. Fin avril, le syndicat dépose mille dossiers de régularisation dans les préfectures d'Ile-de-France. Dix jours plus tard, près de cent grévistes obtiennent gain de cause. Autant dire que ce mouvement embarrasse. Non seulement la majorité, qui pensait avoir bouclé le dossier de l'immigration. Mais aussi une partie de la CGT, bousculée par la mobilisation et accusée par un collectif de sans-papiers (la Coordination 75) de n'avoir déposé "que" mille dossiers de régularisation. Car, de leur côté, les "délocalisés de l'intérieur", eux, sont déterminés.

 


 

15 avril. La CGT lance avec l'association Droits devant !! une grève coordonnée de salariés sans papiers dans une vingtaine d'entreprises franciliennes pour réclamer leur régularisation.

17 avril. Réunion CGT/CSP75, la CGT explique sa stratégie. Le but du mouvement est de mettre la pression sur le gouvernement et sur le patronat, pour obtenir la régularisation. La CGT demande à la CSP75 de suspendre le dépôt de dossiers et de s'impliquer dans cette stratégie. La CSP75 commence à envoyer des délégations aux piquets de grève.

20 avril. La CGT propose à la CSP75 de monter ses propres piquets de grève. Les délégués rétorquent que, en tant que collectif de sans-papiers regroupant des travailleurs isolés, ils ne peuvent lancer des piquets de grèves dans des entreprises sans représentation syndicale, parce qu'il n'y a qu'un ou deux salariés sans-papiers.

21 avril. La CGT et Droits devant !! proposent de déposer 600 dossiers de travailleurs sans-papiers grévistes. Le ministère accepte cette proposition et s'engage jusqu'à 1000 dossiers.

24 avril. La CSP75 est informée par la CGT du dépôt des 600 dossiers et de l'engagement du ministère. La CSP s'interroge sur cet abandon apparent de la stratégie de pression pour obtenir une régularisation massive des sans-papiers et se sent trahie.

30 avril. La CSP75 tente à son tour de déposer environ 1000 dossiers, ces dossiers sont refusés par la préfecture.

1er mai. Les sans-papiers participent massivement au défilé en tête de cortège.

2 mai. L'occupation de la Bourse du travail est lancée par la coordination 75 qui regroupe quatre collectifs parisiens (des 11e, 18e et 19e arrondissements). La CSP reproche à la CGT d'avoir « pris en otage » le mouvement des sans-papiers. Raymond Chauveau de la CGT déclare, pour sa part, qu'« il y a eu une grosse provocation de la part de la préfecture qui a renvoyé les collectifs sur la CGT ». La CSP rétorque : « La CGT campe sur ses positions et nous aussi. On demande un accord écrit pour une égalité de traitement avec les grévistes CGT. Que les dossiers reçoivent une réponse favorable, et on part tout de suite. Sinon, on attend la force. On a déposé 1000 dossiers le 30 avril, on exige le même traitement que ceux de la CGT. »

4 mai. Réunion avec CGT, RESF et UCIJ. Refus de la CGT (et silence des deux autres) de faire des démarches auprès du ministère de l'immigration pour le dépôt groupé des dossiers de la CSP 75. Après cette réunion, tout contact est interrompu jusqu'à la réunion du 28.

12 mai. Lors d'une émission sur Europe 1 Bernard Thibault affirme qu'il est pour une régularisation au cas par cas concernant les dossiers déposés par la CGT, et que, pour le reste, « non, nous ne voulons pas la régularisation globale des sans-papiers ».

21 mai. Les femmes de la coordination profitent de la venue d'un plombier envoyé par la Mairie, pour s'introduire dans la grande salle de la Bourse. Enfin, les sans-papiers peuvent dormir au sec !

28 mai. Première rencontre avec l'intersyndicale. Est retenu le principe de la mise en place d'un travail en commun pour rechercher des solutions. Premier contact entre la CSP75 et la préfecture.

2 juin. Première véritable réunion de travail avec l'intersyndicale et les associations. Est décidée la mise en place d'une commission de dépôt et de suivi des dossiers.

8 juin. Suite à l'invitation lancée par la CSP 75 et relayée par la Coordination Nationale des Sans-Papiers, différents comités des sans-papiers se retrouvent à Paris. Une telle réunion n'avait pas eu lieu depuis trois ou quatre ans. Les collectifs présents ont insisté sur la nécessité de leur autonomie dans les luttes en cours. Les collectifs parisiens souhaitent promouvoir des collectifs autonomes dans leurs stratégies. Cette réunion a abouti à la rédaction d'une résolution commune [voir QSP 25].

11 juin. Rencontre avec la Préfecture. Rassemblement des sans-papiers et des soutiens devant le bâtiment.

14 juin. Premier concert du samedi à la Bourse du travail occupée.

21 juin. Fête de la Musique à la Bourse. À partir de cette date, le nombre d'occupants ne cesse de croître.

28 juin. Sortie du premier numéro du Journal de la bourse occupée. Débat télévisé (organisé par la télé des sans-papiers) "sur matelas", dans la grande salle de la Bourse en présence de 500 personnes.

3 juillet. Marche "sauvage" jusqu'à la préfecture pour le dépôt des 1300 dossiers de l'occupation. Une délégation composée par des membres de la CSP75, de l'intersyndicale et des associations a été reçue. La préfecture refuse le dépôt groupé des dossiers. Mais une nouvelle rencontre est fixée au lendemain.

4 juillet. Nouvelle délégation à la préfecture. Le principe de régularisations sur la base de critères élargis a été retenu. La préfecture s'est engagée à étudier tous les dossiers qui seront présentés.