Pourquoi occuper ? Imprimer
Écrit par CSP75   
Vendredi, 05 Décembre 2008 00:00

Présentation de l’occupation de la Bourse du travail par des travailleurs sans-papiers. Son originalité.

Quelques repères

En avril dernier, la CGT lance dans quelques entreprises la première « vague de grèves » de travailleurs sans-papiers, à l’appui de la revendication de « régularisations dans le cadre du travail » (article 40 de la loi Hortefeux et dispositions relatives).

Le cadre non déclaré est celui des accords syndicats-MEDEF-gouvernement sur la représentativité syndicale (qui aboutiront à la nouvelle loi du 20 août 2008), prélude aux élections prud’homales (3 décembre) et professionnelles à venir.

Ce cadre électoral détermine le choix des « cibles » et la forme de ces grèves de sans-papiers lancées par la CGT. En premier lieu, quelques occupations spectaculaires (à retentissement médiatique) de restaurants parisiens fréquentés par la haute de la capitale ; ensuite, quelques grèves-occupations de type symbolique, comme celle de l’entreprise de nettoyage Ma Net (Paris 11; deuxième « vague » du mois de mai) par un nombre artificiellement réduit – à l’opposé du principe vital de la grève ouvrière – de grévistes femmes.

La coordination de sans-papiers 75

La CSP 75 réunit quatre collectifs parisiens de sans-papiers. Elle existe formellement sous ce nom depuis l’occupation de la basilique de Saint-Denis, en 2002, et de fait depuis Saint-Bernard en 1996.

Elle a adhéré au mouvement de grèves de sans-papiers dès le début, notamment en participant aux piquets de différents sites occupés ; participation dans la droite ligne d’une longue pratique de collaboration avec la CGT.

Plusieurs de ses adhérents ont la carte de ce syndicat ; la grande majorité sont des travailleurs sans-papiers isolés, subissant de ce fait le pire joug patronal mais confiants dans le soutien syndical à leurs revendications de régularisation.

Travailleurs sans-papiers isolés

Isolés, au sens qu’ils travaillent le plus souvent dans de toutes petites boîtes ou dans des boîtes n’occupant qu’un ou deux sans-papiers, ou encore, en moindre mesure, pour de petites et moyennes agences d’intérim (artificiellement isolés, dans ce cas). Leur isolement les met dans une situation de faiblesse extrême face au patron. En effet, quel rapport de force établir sans la force du nombre ?

C’est cette situation qui les soumet aux formes d’exploitation les plus dures : une main d’œuvre, au pied de la lettre, corvéable et taillable à merci.

Cette situation est largement dominante dans le travail des sans-papiers, de loin la plus représentative de leur dépendance de la discrétion du patron. Les travailleurs qui adhèrent à la coordination 75 et qui occupent la Bourse du travail depuis sept mois sont, de ce fait, un échantillon très représentatif des conditions réelles dans lesquelles s’exerce, grâce aux dispositions légales en application, le travail des sans-papiers en France.

Une prise au mot

« Régularisations par le travail ». Dès le lancement de ce mot d’ordre par la CGT, les sans-papiers de la coordination 75 se sont dit : « Enfin voilà notre tour venu ! »

Ils ont cru à la volonté franche de la CGT, ils ont cru au commencement véritable de la régularisation de tous les sans-papiers travailleurs, de la grandissime majorité des sans-papiers de France :

« Régularisations par le travail – nous aussi on est des travailleurs – notre droit est aussi d’être régularisés. »

Forts de cette logique d’égalité de droits syndicaux, dès l’accord passé en avril entre la CGT et le ministère pour le dépôt collectif de mille dossiers de régularisation de sans-papiers grévistes, les collectifs de la coordination 75 ont eu une réunion à l’union départementale CGT de Paris :

« Voici mille dossiers de travailleurs sans-papiers isolés, nous aussi on participe aux piquets de grève, on a les mêmes droits que les grévistes ; faites-en le dépôt collectif comme des mille dossiers de travailleurs sans-papiers non isolés ! »

Limpide prise au mot du mot d’ordre syndical.

Décision d’occuper la Bourse du travail

« Niet ! » C’est par ce mot bref qui évoque d’anciennes allégeances, que les sans-papiers résument la réponse de la CGT. Par ce mot accompagné d’un vaste sourire, et d’un geste qui tranche, sec comme le mot.

Confiance déçue, sentiment de trahison à la hauteur de l’espoir éveillé. Mais il y a une explication, simple et évidente, toutefois : et c’est que la CGT se trompe.

La décision est prise d’occuper la Bourse du travail. Le mouvement de solidarité qui ne peut manquer de naître, à l’instar de ce qui se passa à l’occupation de l’église Saint-Bernard, puis à la basilique de Saint-Denis, ce mouvement sera si puissant qu’il fera revenir la CGT de son erreur, même qu’elle prendra alors la tête du mouvement.

Interdits de démocratie

Mais ce sont les sans-papiers qui devront vite déchanter. Seulement, au lieu de baisser les bras, leur détermination reste intacte et affichée. Ils se feront même une force de leur propre erreur. Et c’est ce qui fera, au fil des mois, l’originalité de leur lutte. Alors que les murs du silence convenu se dressent autour d’elle, l’occupation s’organise d’une manière autonome et les sans-papiers lèvent leurs voix pour parler d’une voix générale.

Au nom de tous les sans-papiers de France, au même titre que leurs droits essentiels d’hommes et de femmes, ils revendiquent une pleine autonomie d’organisation et d’action. Ils affirment leur indépendance du colonialisme syndical et de toute chapelle associative ou de gauche ; ils appellent tous les sans-papiers à se rassembler dans un mouvement unitaire et autonome. Le mouvement des sans-papiers ne pourra se faire désormais que par les sans-papiers eux-mêmes.

Une telle volonté revendiquée d’indépendance, voilà qui va produire un fait nouveau, dans les annales de la lutte des sans-papiers en France. L’occupation la plus longue, la plus importante en nombre, 1300 sans-papiers qui se relayent sur les lieux occupés, sept mois que ça dure, et personne n’en parle.

Ils étaient en droit de s’attendre, dans une société qui se dit démocratique, à au moins autant de bruit autour d’eux qu’en avaient suscité des occupations bien moindres, aussi bien pour le nombre que pour la durée. Mais la publicité de leur lutte leur est de fait tout bonnement niée. La publicité, ce principe vital de toute démocratie, n’est pas bonne en France pour des sans-papiers qui ne sont pas chapeautés par de bons « soutiens » français. Isolés comme travailleurs immigrés sans-papiers, ils ont le droit de le rester aussi comme occupants de la Maison des travailleurs.

Le Journal de la Bourse du travail occupée

L’originalité et la vitalité de cette lutte n’ont pas besoin d’être prouvées par de longs discours, elles sautent aux yeux ou à la figure de tous ceux qui s’y frottent, et elles sont entre autres témoignées par la parution de cette publication.

Les huit numéros sortis depuis fin juin en ont fait la première et, jusqu’à aujourd’hui, la seule entreprise de ce genre. Là s’exprime la parole directe, motivée, réfléchie des sans-papiers engagés et organisés dans une lutte autonome d’envergure. On y trouve les raisons de leurs doléances, déceptions, leurs enthousiasmes, espoirs, projets, leur histoire presque au jour le jour, un document de première main et unique pour la connaissance de la coordination 75 et de la lutte engagée.

Deuxième « débat sur matelas »

Un premier « débat sur matelas » s’est tenu le 28 juin dernier, en même temps que la parution du premier numéro du Journal de la Bourse du travail occupée. Le nom choisi vient de l’endroit, la grande salle de la Bourse jonchée des matelas où dorment les occupants. Ce débat avait vu l’affluence de plus de 500 personnes (des sans-papiers en grande majorité) pour discuter sur le thème « La situation des sans-papiers, enjeux et perspectives des luttes actuelles ».

Le thème d’aujourd’hui, « Le travail des sans-papiers en France », coule de source des premiers paragraphes de cette présentation.

Le souhait est que ce thème puisse être débattu dans tous ses aspects et conséquences, tant quotidiens que de longue haleine. Économiques, sociaux, politiques, syndicaux, juridiques. Tant « franco-français » qu’internationaux (en particulier pour ce qui concerne les pays de la « Françafrique », vu l’origine de la presque totalité des occupants de la Bourse du travail). Enfin, que l’affluence et la qualité soient telles qu’elles puissent poser la base de quelque chose d’autre, et qui pourrait déboucher sur des « états généraux des sans-papiers de France ».

Mis à jour ( Vendredi, 05 Décembre 2008 21:24 )