Fin de l'occupation... Nous sommes maintenant au 14 rue Baudelique dans le 18eme à Paris.
Site du Ministère

Occupation de la Bourse du travail

Coordination 75 des sans-papiers (CSP75)

Tous les mercredi et vendredi, une manifestation au départ de la Bourse du travail en direction de la Préfecture de Police est organisée.

Venez soutenir les travailleurs sans-papiers isolés de la Bourse du travail !

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Index de l'article
Numéro 1
Pour l'unité des collectifs de sans-papiers !
La voix des délégués
Où va la lutte ?
33ième jour - La voix des grévistes de la faim
La voix des femmes
Toutes les pages

 Journal de la Bourse du travail occupée

numéro 1, 28 juin 2008

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Depuis 58 jours, depuis le 2 mai, à l'initiative de la Coordination sans-papiers 75, environ 800 personnes (hommes, femmes, enfants) occupent la Bourse du travail de la rue Charlot (République) à Paris.

Quelque chose de nouveau est en train de se passer dans ce haut lieu historique des luttes destravailleurs de France. L'occupation s'est faite d'une manière autonome, contre tous « conseils» et recommandations des grandes organisations syndicales et politiques, et elle tient bon.

Au-delà des circonstances, des motifs particuliers qui ont poussé ces travailleurs sans-papiers, cequ'il faut saisir c'est la nouveauté de leur position. Par le nombre de ses participants, par sadurée, par le lieu où elle se déroule, cette action se dépasse désormais elle-même. Elle dépassele fait brut, les individualités, et s'inscrit dans quelque chose de plus fondamental et d'essentiel. Ce qui est désormais mis à l'ordre du jour, par ce mouvement, c'est bel et bien la question desconditions d'une victoire réelle, non illusoire. Le message des sans-papiers est clair et net, seulsceux qui ne veulent pas comprendre ne le comprennent pas. Parmi ces conditions, celle d'en finirune fois pour toutes avec leur infantilisation orchestrée, celle d'un mouvement autonome d'en-semble.

On est des hommes et des femmes debout, responsables et capables de prendre en mains notre mouvement, on a notre dignité : voilà ce que veut dire, ce que continue de dire l'action de ces travailleurs sans-papiers.

Après une médiatisation initiale due aux circonstances de l'occupation, le silence a vite jeté sonvoile sur ces voix d'opprimés qui s'élevaient. Alors que la publicité et l'information sont essentielles à l'organisation, à la conscience, à l'extension, à la mobilisation, à l'unité du mouvement. C'est pour fournir un instrument de la nécessaire publicité que le Quotidien des sans-papiers entreprend, avec ce numéro spécial, de donner la parole aux Sans-papiers isolés de la Bourse du travail, de donner à leur expression la forme écrite pour qu'elle se propage et dure.Le souhait est que ce premier numéro jette les bases d'une véritable édition spéciale, capable devivre et de faire vivre l'information dans le temps.

 


Sissoko et Djibril exposent les motifs de l'occupation de la Bourse du travail par des travailleurs sans-papiers isolés.

La coordination sans-papiers 75 existe depuis douze ans et a toujours eu des formes de soutien et de collaboration avec la CGT. Elle a notamment et, de manière autonome, soutenu et participé aux piquets de grève devant les entreprises dès le début du mouvement de grèves des travailleurs sans-papiers lancé par la CGT le 15 avril dernier.
Dès le commencement de ce mouvement, il y a eu plusieurs réunions avec la CGT pour lui expliquer la situation particulière des travailleurs sans-papiers isolés, dont est essentiellement formée la coordination. Ces travailleurs se trouvent à un ou deux dans leurs boîtes et ne peuvent pas, de ce fait, se mettre en grève, puisqu'il n'y a pas de représentation syndicale. Pas moyen de se faire entendre là-dessus.
Le 17 avril, première réunion, la discussion a été à sens unique. La CGT nous a critiqués du fait que nous ne sommes habitués qu'à dresser des listes et des dossiers, alors que le but du mouvement de grèves était de mettre la pression sur le patronat et le gouvernement pour obtenir des régularisations globales des travailleurs sans-papiers. Sur ce but général et sur cette critique nous, les délégués, avons été d'accord.

Volte-face de la CGT

Mais quatre jours plus tard, le 21, volte-face de la CGT. Et précisément sur cette question des dossiers et du but général du mouvement. La CGT a eu une rencontre au ministère de l'immigration. Elle a proposé 600 dossiers groupés et le ministère s'est engagé pour aller jusqu'à mille. Il faut préciser que, jusqu'au 21, il y avait eu cinq réunions de la coordination 75 avec la CGT. Non seulement celle-ci n'a pas invité la coordination à se joindre à elle, mais dans la rencontre au ministère elle n'a même pas évoqué les dossiers des travailleurs sans-papiers isolés.

Du 15 au 21 avril, ce que la coordination 75 a cherché à faire, c'est justement de mettre la pression dont avait parlé la CGT à la réunion du 17. Il faut expliquer ceci : pour pouvoir participer aux piquets de grève, on doit rester à l'intérieur de la branche de métier. Par exemple, un travailleur de la restauration pourra aller se joindre à un piquet de grève dans une autre boîte de restauration. Sinon, c'est considéré comme une violation de domicile et le travailleur sans-papiers sera susceptible d'être arrêté et interné au centre de retention. Pour mettre cette pression, la coordination souhaitait donc rejoindre les piquets de grèves de la CGT - ce que nous avons d'ailleurs fait, de façon autonome, en envoyant des délégations de travailleurs sans-papiers isolés aux piquets de grève en cours. La CGT n'a pas été d'accord avec notre souhait, et nous a par contre invités à monter nous-mêmes nos piquets de grève dans nos boîtes, ce qui n'est pas possible pour les raisons évoquées.
Conclusion de tout cela, nous nous sommes sentis trahis. Le mot est peut-être un peu fort, mais c'est bien là notre sentiment.

Décision d'occuper la Bourse du travail

Ensuite, à l'occasion du rassemblement hebdomadaire habituel de la coordination 75, place du Châtelet, le vendredi 25 avril nous avons averti l'officier de liaison de la préfecture que le 30 avril nous déposerions mille dossiers groupés (de travailleurs sans-papiers isolés de la coordination), ainsi que ç'avait été le cas pour les mille de la CGT après leur rencontre du 21 au ministère.
Le 30 nous nous sommes donc présentés à la préfecture et avons été reçus par le sous-directeur de l'administration des étrangers. Voilà ce qu'il nous a dit : que la préfecture n'acceptait pas de dépôt de dossiers groupés ; que, pour des régularisations dans le cadre du travail, il fallait nous adresser aux CRE, centres de réception des étrangers (il y en a deux à Paris dans des commissariats), où, de toute façon, les dossiers n'étaient acceptés qu'individuellement. Ce à quoi le délégué Sissoko a objecté que c'était bel et bien de la discrimination, puisque les mille dossiers de la CGT avaient été acceptés groupés, et non dans les commissariats mais bien à la préfecture de la Cité. Le fonctionnaire a répondu que c'étaient les ordres reçus du ministère, que ces ordres ne concernaient que les dossiers de la CGT, et que donc il fallait nous adresser directement au ministère ou bien à la CGT, si nous voulions présenter nos dossiers groupés.
Le premier mai nous avons participé massivement à la manifestation. Sur les 1500 manifestants sans-papiers, un tiers étaient de la coordination 75. Mais nous n'avons pas parlé de nos dossiers avec la CGT.
Le 2 mai, finalement, nous avons pris la décision d'occuper la Bourse du travail, et ceci afin de mettre la pression sur la cgt même, de lui faire accepter de prendre en charge également nos dossiers. Ceci a un sens bien précis : faire cesser cette « immigration choisie » dont on se rend complice dans le monde même du travail, en établissant une différence de fond entre travailleurs sans-papiers non isolés et travailleurs sans-papiers isolés. Le choix de la Bourse du travail a été le choix le plus logique pour nous. C'est ici un haut lieu historique de représentation des intérêts de tous les travailleurs. C'est l'endroit à plus forte charge symbolique. Il nous est par ailleurs beaucoup plus facile de parler avec les syndicats qu'avec le ministère de l'immigration.
Parmi les syndicats, la CGT a, depuis douze ans, toujours soutenu, dans les faits aussi bien que dans ses déclarations publiques, le mouvement de tous les travailleurs sans-papiers. Ce n'est donc pas la coordination sans-papiers 75 qui se trompe de cible avec l'occupation de la Bourse du travail, ce sont ceux qui prétendent cela qui se trompent lourdement.

 


Sissoko, Dabo, Djibril et d'autres délégués disent ce qu'ils en pensent.

Le 2 mai, plus de 600 adhérents de la coordination des sans-papiers 75 sont entrés en masse dans la Bourse du travail de la rue Charlot, à République, pour l'occuper. Dès notre arrivée, la porte de la grande salle au rez-de-chaussée et les portes des bureaux aux étages ont vite été fermées. On s'est donc limités à occuper la cour, les escaliers jusqu'au quatrième étage et les couloirs des étages. C'est comme cela, confinés dans ces espaces restreints (et sous la pluie dans la cour), qu'on a dû rester pendant presque trois semaines, jusqu'à ce que, la ville de Paris ayant envoyé des ouvriers pour une fuite, nous avons pu occuper aussi la grande salle du rez-de-chaussée.

Dès notre arrivée, donc, le 2 mai, on a demandé à rencontrer le responsable. On lui a expliqué que pour nous travailleurs sans-papiers isolés était bien plus normal d'occuper la Bourse du travail, c'est-à-dire la maison de tous les travailleurs, où nous serions en sécurité, plutôt que d'aller occuper des boîtes différentes de notre lieu de travail où nous serions en danger, sans la présence des syndicats, d'être de toute façon interpellés à tout moment et d'être amenés au centre de retention. Le responsable a pris acte de notre présence et de nos doléances. Les deux jours suivants se sont écoulés sans problèmes, et le dimanche 4 mai il y a eu une réunion avec la CGT, RESF et l'UCIJ. Pendant cette réunion nous avons répété nos doléances. Nous avons demandé à la CGT qu'elle fasse les démarches nécessaires pour être reçue avec la coordination 75 par le ministère de l'immigration, afin que nos mille dossiers (essentiellement des travailleurs sans-papiers isolés) soient déposés à la préfecture et traités de la même manière que les mille déjà déposés par la CGT. Celle-ci (union départementale) a prétexté de son incompétence à traiter avec le ministère aussi de nos dossiers (à la différence des ceux déjà déposés), et nous a dit de nous adresser à la CGT nationale à Montreuil, en nous invitant de nouveau, pour sa part, à cette action (que nous jugeons irresponsable) de monter des piquets de grève dans nos entreprises, où nous sommes des travailleurs isolés et sans représentation syndicale, donc (si le patron appelle la police) susceptibles d'être arrêtés tout court. Pendant ces discussions RESF et l'UCIJ n'ont pas pris position. (Mais l'on peut faire remarquer qu'avant cette réunion à quatre, il y en avait eu une à trois, CGT-RESF-UCIJ, sans la coordination 75.)

L'occupation s'installe, mais la communication avec les syndicats reste difficile.

Après cette réunion du 4, le mois de mai s'est écoulé presque entièrement sans autre forme de communication. Cela, jusqu'à une réunion, le 28, avec l'intersyndicale (CGT, CFDT, FO, Solidaires, FSU), suivie d'autres réunions dans les jours suivants, où étaient présentes aussi d'autres associations de défense des sans-papiers (MRAP, Gisti, LDH, UCIJ, Autre monde, RESF, Haut conseil des Maliens en France). À l'issue de toutes ces réunions, il y a eu des points d'accord mais aussi de désaccord. Les syndicats voulaient traiter l'ensemble de nos dossiers dans le cadre du travail, mais ceci n'est pas applicable à tous les occupants de la Bourse, il y a aussi des femmes sans travail, il y a des enfants, des malades. Dans le but d'un dépôt global des dossiers, une grille classant les sans-papiers par branche professionnelle, mais aussi par statut juridique et social - par exemple, un travailleur sans-papiers qui ne peut pas, comme c'est le cas pour beaucoup, fournir des fiches de paye parce qu'il a toujours travaillé au noir ou avec les papiers de quelqu'un d'autre, ou encore une femme au foyer -, a été convenue pendant ces réunions. Mais elle a ensuite été négligée par les syndicats et les associations, au profit d'une table dans la cour, où tous les dossiers auraient dû leur être confiés pour être étudiés un par un en vue d'examiner leur recevabilité à la préfecture, ce qui, pour la coordination 75, équivaudrait à une sorte de traitement au cas par cas et même à une tentative de récupération, parce qu'une fois les informations individuelles acquises, chaque occupant pourrait faire l'objet de pressions individuelles et par exemple être poussé à quitter l'occupation sous prétexte qu'on va s'occuper de sa régularisation personnelle.
À ce propos une simple remarque s'impose: pour quelle raison ne pas faire confiance aux dossiers tels que dressés par les délégués actuels de la coordination 75, qui ont souvent mûri une expérience de huit ans dans le traitement de ce genre d'affaires ? Certes, on pourra toujours dire que nous sommes trop méfiants, mais notre méfiance nous paraît justifiée d'autant plus que syndicats et associations continuent de mettre en avant, comme condition préalable, que nous quittions la Bourse du travail pour commencer toute véritable coopération avec nous.
À cette exigence des syndicats, la coordination 75 a répondu qu'elle attend la mise en place de la commission de dépôt et suivi des dossiers (également décidée dans les entretiens) et les premières régularisations avant toute décision. On remarquera que notre position est là-dessus plus souple que celle des syndicats, lesquels ne quittent les occupations des grèves en cours qu'au dernier sans-papiers régularisé. Aussi, en face de notre détermination à rester dans les lieux, on pourrait penser que la situation est dans une impasse.

Est-on en train de sortir de l'impasse ?

Le 23 juin, un premier pas. Un courrier, signé conjointement par les syndicats, les associations et la coordination 75, est parti au ministère de l'immigration. On y demande une audience dont le but spécifique est de sensibiliser ce ministère à la situation des travailleurs et travailleuses sans papiers isolés. Deuxième pas, le 25 juin. Il y a eu, ce jour-là, toute une série de réunions entre l'intersyndicale, les associations et la coordination 75. (Absent, le Haut conseil des Maliens en France, qui n'a pas été prévenu. Nous-mêmes nous n'avons été prévenus qu'au tout dernier moment, et nous demandons que dorénavant le Haut conseil soit prévenu à temps de toute réunion.) Un pas réel en avant semble avoir été accompli. Intersyndicale et associations se sont déclarées prêtes à nous accompagner à la préfecture pour un dépôt groupé de nos dossiers, ce que nous demandions depuis le mois d'avril. Il restait donc à convenir d'une date. Nous avons déclaré que nos dossiers seront tous prêts pour le 2 juillet, c'est à partir de cette date qu'une rencontre avec la préfecture peut être convenue. Nous avons en outre demandé que la commission mixte de suivi des dossiers (intersyndicale-associations-coordination 75) soit mise sur pied, et que l'adresse de communication soit ici à la Bourse, sous couvert de l'Ud-Cgt, pour tous les sans-papiers concernés. Un accord verbal nous a été donné, mais à la condition de cesser l'occupation dès le dépôt des dossiers à la préfecture. Sur quoi, nous avons confirmé que, de toute façon, nous attendons les premières régularisations pour nous réunir entre nous et discuter de l'éventualité de quitter ou non la Bourse du travail.

Les perspectives : des formes d'organisation et de lutte unitaires et autonomes

Pour la suite du mouvement, nous tenons à réaffirmer notre détermination de poursuivre notre lutte. Il convient toutefois de souligner quelques autres aspects. Bien entendu, nous souhaitons toujours que les syndicats se chargent des dossiers des travailleurs sans-papiers isolés, exactement comme la CGT l'a fait et continue de le faire pour les autres travailleurs sans-papiers. Mais aussi, le problème est plus large. D'un côté, il y a les autres sans-papiers. Ceux qui ne travaillent pas, comme les femmes au foyer, les enfants, les vieux, les malades. Et puis, encore une fois, il y a tous ceux qui, tout en travaillant, ne sont pas à même de produire des feuilles de travail ou de paye parce qu'ils ont toujours travaillé, souvent depuis des décennies, dans des situations illégales, dans des situations d'exploitation la plus noire. D'un autre côté, et ceci nous semble vraiment le plus important pour l'avenir du mouvement, il y a la leçon à tirer de cette expérience qu'on est en train de vivre. Il est clair, désormais, que les sans-papiers, s'ils veulent peser sur les décisions qui les concernent, doivent trouver des formes d'organisation et de lutte unitaires et autonomes. Il faut construire un rapport de force avec le gouvernement, si l'on veut obtenir les régularisations auxquelles nous avons droit par notre apport de travail à l'économie et notre apport de culture à la société française. Pour cela, il est urgent que tous les collectifs de sans-papiers de France fassent des efforts de convergence de pensée et d'action, il faut aller au-delà des particularismes actuels. Le mouvement d'ensemble des sans-papiers ne doit plus dépendre du bon vouloir des associations de soutien et des syndicats, il doit trouver sa propre voie, conter sur lui-même et sur ses propres forces. Ceci ne veut pas dire qu'on doive ou qu'on veuille se passer du soutien de toutes ces associations et des syndicats. Ceci veut dire seulement que le mouvement des sans-papiers doit désormais trouver son indépendance et son unité, comme il convient à des hommes et des femmes qui se lèvent pour le respect de leurs droits. Ce que la coordination 75 souhaite avant tout, c'est donc que le mouvement actuel s'organise et s'élargisse à tous les collectifs des sans-papiers d'Ile de France et de France en général. Pour ce faire, il faut commencer à œuvrer pratiquement.
C'est la raison pour laquelle nous avons lancé cette initiative : nous avons chargé un délégué d'envoyer des invitations aux différents collectifs pour qu'ils viennent participer à notre débat de samedi 28 juin. De notre part, on va vraiment commencer l'ouverture à cette occasion. Après ce débat, il faudra se réunir avec les autres collectifs, pour discuter des prochaines étapes, pour organiser la suite tous ensemble, pour donner une forme nouvelle au mouvement. Il faudra lancer la convocation d'une réunion unitaire de tous les collectifs de sans-papiers pour qu'on puisse parler le même langage. Cela commence, pour nous, par le débat de ce samedi. La réunion unitaire, si elle est souhaitée par tout le monde, pourra se tenir après ce débat. Elle servira à discuter des objectifs et des perspectives des luttes pour les mois et les années à venir et, d'abord, à préparer la rentrée. Nous pensons que tous les collectifs sont fondamentalement d'accord pour qu'il y ait unité du mouvement. On ne nie pas qu'il y ait eu auparavant des divergences, mais il est temps maintenant d'aller de l'avant. Cette réunion unitaire à Paris, nous insistons là-dessus, ce serait pour discuter des modalités d'action de la poursuite de la lutte, pour mettre la pression sur le gouvernement afin d'obtenir la régularisation globale de tous les sans-papiers. Il apparaît en effet de plus en plus clair aujourd'hui que la régularisation de chacun passe par la régularisation de tous. Il faut impérativement faire en sorte qu'il y ait une bonne entente entre les collectifs. La conséquence probable de cela sera aussi une entente avec les syndicats et les associations, et c'est ce qui mettrait vraiment la pression sur le gouvernement. C'est cela qui est primordial. La grande réunion unitaire que nous souhaitons, si elle a vraiment lieu, serait non seulement un moyen de pression capable de faire sortir le mouvement de l'impasse où il se trouve, mais elle serait aussi un grand moment d'information, d'abord entre nous, collectifs de sans-papiers, et puis envers toute l'opinion publique de la France.

 


Grève de la faim à la Bourse du travail occupée.

Depuis le 27 mai, depuis 33 jours, un occupant de la Bourse (Diallo) a entamé une grève de la faim dont personne ne parle. Trois autres occupants se sont unis à lui dans les jours suivants. Pour la première fois, la parole est donnée à trois d'entre eux. Comme par hasard, ils représent chacun l'un des secteurs les plus importants qui exploitent le travail des sans-papiers en France. Respectivement : le bâtiment, le nettoyage, la restauration. Ils exposent leurs doléances, leurs raisons, leurs espoirs. (Propos recueillis le 25 juin)

Diallo Koundenegoun

Malien, il est en France depuis vingt ans exactement. D'abord avec statut de réfugié politique, plus tard pour des raisons médicales (permis d'un an et demi), et, depuis de nombreuses années, travailleur sans-papiers isolé. Depuis 2002, adhérent à la coordination sans-papiers 75. Voici son témoignage. « Je travaille dans le bâtiment, je suis professionnel dans mon métier, l'isolation des murs, depuis huit ans. Je suis bien intégré. J'ai appris mon métier ici, je connais bien mon boulot. Mais la France refuse toujours de me régulariser. Il n'y a pas de raison. Certains viennent et, au bout de 5 ou 3 ans, on leur donne des papiers, moi je suis ici depuis 20 ans. Maintenant, j'ai arrêté mon boulot parce qu'il y en a marre du travail en cache-cache, au noir, d'accepter n'importe quoi pour n'importe quel prix. J'ai décidé d'arrêter et de tout faire pour avoir mes papiers. Je ne vois pas la raison qui explique pourquoi on ne veut pas me régulariser. »
Diallo est délégué. À part lui, la position des autres délégués - en tant que responsables de la coordination 75 et actuellement de l'occupation de la Bourse, en tant que porte-parole de tout le monde - est qu'ils ne peuvent pas encourager une telle forme de lutte, que ce n'est pas à eux de dire ou suggérer de faire la grève de la faim, ce qui ne peut être qu'un choix strictement personnel. Mais, dès qu'il y a quelqu'un qui se décide pour cette forme de lutte extrême, alors il ne reste bien sûr qu'à le soutenir.

Voici l'explication de Diallo même : « Maintenant, ce qui nous pousse, c'est un désespoir, c'est de l'angoisse par rapport à la situation des régularisations des sans-papiers. Cela fait plusieurs années qu'avec la coordination 75 on fait beaucoup d'actions et plusieurs occupations. Par exemple, l'occupation de la basilique de Saint-Denis, l'occupation de l'église Saint-Ambroise, l'occupation à Noisy-le-Grand dans le 93, l'occupation à la Porte Dorée, musée de l'immigration, l'occupation de l'École des hautes études en sciences sociales à Paris, et tout ça, on l'a fait sans résultat. C'est ce qui nous pousse à changer de tactique, parce que, au final, on pense que l'action ne donne plus rien. Il suffit de regarder autour. À Paris il y a moins de grèves de la faim, alors que, par exemple, ça fait trois ans qu'il y en a à Lille. Donc nous aussi on a entamé une grève de la faim à Paris. À Nanterre, il y a actuellement 18 personnes qui font la grève de la faim, ils en sont à 57 jours de grève et ils ont tous eu des résultats, il y a des convocations qui tombent même pour les autres occupants. Nous aussi, ce qu'on voulait montrer c'est que l'action des grévistes de la faim ne concerne pas seulement eux, mais toute l'occupation. C'est le renforcement de la lutte que nous menons ici. La grève de la faim n'est pas en contradiction avec l'occupation, ça sert à la renforcer. Plus il y aura de grévistes dans cette occupation, plus ça va nous donner de la force. C'est très important que tout le monde s'entende sur ce point-là, cela nous apportera au plus vite quelque chose de positif. Aussi, il n' y a pas de contradiction entre notre position et celle des délégués. Il y a juste un malentendu parce que la grève ne s'organise pas comme l'occupation. La grève c'est une volonté personnelle, on ne peut pas réunir tous les occupants et leur dire : « venez, on va faire la grève de la faim tous ensembles ! ». Ce sont des volontés individuelles qui, au sein de la lutte collective, se réunissent avec cet objectif que la lutte prenne de l'ampleur. »

Gassama Djelano

Sénégalais, il est en France depuis bientôt huit ans. Il travaille dans le nettoyage. Adhérent à la coordination 75 depuis 2002. « J'ai laissé mon boulot pour me joindre à ce mouvement de travailleurs sans-papiers isolés. J'ai travaillé pendant 2 ou 3 ans avec les papiers d'un collègue à moi. Je suis dans une situation où il est difficile de prouver que j'ai travaillé. C'est ça le problème du statut des travailleurs sans-papiers isolés que les syndicats semblent ne pas vouloir comprendre. Ce n'est pas grave si j'ai perdu mon travail, c'était un travail au noir, un travail de merde comme on en trouve partout à tout moment. J'ai les mêmes motivations que Diallo. C'est bon ce qu'il a dit, je le suis entièrement. »

Kanté Mamadou

Malien, cafetier de son métier, en France depuis 19 ans, il dit : « je travaille, mais durement ». En 2000 il a obtenu un titre de séjour pour des motifs de santé, lui permettant de travailler. Mais en 2004 à la préfecture on lui a dit : « maintenant tu es guéris, tu peux donc rentrer chez toi ». Depuis, il est lui aussi dans une situation de travailleur sans-papiers isolé.
« Je suis dans la coordination depuis trois mois. Avant je ne connaissais pas le collectif, ce sont des collègues qui m'en ont parlé. C'est une bonne chose parce que quand tu es avec le collectif, tu peux faire beaucoup de choses que tu n'arriverais pas à faire tout seul. On est venu ici pour occuper, mais jusqu'à présent rien ne bouge. C'est pour ça qu'on a décidé de faire cette grève de la faim pour tout le monde. On ne peut pas obliger les autres à faire comme nous, mais nous on a pris notre engagement. C'est une décision personnelle et on va la tenir jusqu'au bout pour faire avancer les choses. Depuis 55 jours qu'on est là, rien ne bouge. On pense qu'on est sur une bonne voie car d'autres l'ont déjà fait avant nous. Cette grève de la faim n'a pas l'approbation du collectif, ils voudraient qu'elle s'arrête. »
Mamadou a été licencié récemment parce que ses patrons ont su qu'il n'avait pas de papiers. Il avait déjà été licencié d'autres fois pour la même raison. Quoique ces anciens patrons, qui souhaitaient le garder, avaient fait les démarches pour sa régularisation, cela n'avait donné chaque fois que des récépissés de courte durée. Finalement, en 2006, il se décide à faire des faux papiers, il trouve un nouveau travail. Mais il est arrêté en février dernier, lors d'un contrôle dans le métro en allant au travail.
« J'ai appelé mon avocat et il m'a fait sortir. Depuis, je ne peux plus travailler. Mon patron m'a fait une promesse d'embauche, mais je ne pouvais pas aller à la préfecture parce qu'ils m'ont classé en "reconduite à la frontière". Un courrier envoyé le 17 avril n'a pas encore eu de réponse. C'est pour cela que je participe à l'occupation ici, on n'est pas là pour rien, mais pour obtenir notre titre de séjour. Dans ma boîte, j'étais le seul sans-papiers, ce n'était pas possible de se mettre en grève et de l'occuper. Nous, les travailleurs isolés, on est obligé d'être ici pour obtenir quelque chose, on est obligé de se grouper dans un lieu. J'espère que la CGT va nous soutenir et présenter nos dossiers à la préfecture. Certains ici n'ont même rien à présenter, aucune preuve. C'est difficile. »

Diallo réprend la parole

« L'opinion publique doit savoir que les sans papiers sont là, à la Bourse du travail, mais pas seulement. C'est partout en France et dans les foyers qu'il y a des travailleurs isolés. La coordination 75 a fait un appel à tous les travailleurs sans-papiers isolés pour qu'ils viennent nous rejoindre ici. Depuis qu'on est là, des soutiens sont à nos côtés. On demande à tous les Français qui ne sont pas encore au courant de notre lutte de venir nous soutenir. La France a besoin des immigrés et nous on a besoin des Français et de leur bonne volonté. C'est pareil. Je demande aux médias de venir voir qu'on est en lutte et qu'on a quelque chose à leur dire. Au début de l'occupation on a vu beaucoup de journalistes, il faut qu'ils reviennent car on a besoin d'eux. On a de nouvelles choses à leur dire, comme la grève de la faim par exemple. Ce n'est pas en dehors de la lutte, ce n'est pas en parallèle, ça fait partie de la lutte.
Le mouvement a pris une grande ampleur à Saint-Bernard, il y a 12 ans, avec la grève de la faim, mais il avait commencé bien avant. Je sais par mon frère que lui avait fait une grève de la faim à la Porte de Choisy en 82. C'est eux qui ont commencé. Ce sont les premiers noirs à avoir fait ça. Ils étaient soutenus par les syndicats, les médecins, tout le monde. Et ce qui m'étonne c'est bien ça, depuis une semaine qu'on n'arrête pas d'appeler Médecins du monde, ils refusent, on n'arrive pas à avoir quelqu'un pour venir nous visiter. Si je comprends bien, ils ne viennent pas parce que nous sommes en désaccord avec la cgt et Droit devant, ils nous ont demandé si on en faisait partie. C'est ça le boulot d'un médecin ? C'est de la discrimination, voilà ce que c'est, ce n'est pas normal, la raison c'est que nous sommes de simples sans-papiers. À l'église de Nanterre, un médecin vient tous les deux jours, ici on ne voit jamais personne, sauf avant-hier la Croix-rouge, quand j'ai appelé le Samu. Je me suis même déplacé en personne rue Parmentier, dans le 11ème, chez Médecins du Monde. Ils ont refusé de nous prendre, alors que notre vie est en danger.
»
Mamadou et Gassama en rajoutent : « Oui, on a été rue Parmentier, et ils nous ont dit qu'on devait revenir le lendemain parce qu'ils avaient trop de monde à soigner sur place et qu'ils ne pouvaient pas nous prendre. Ils ont dit qu'on devait aussi voir ça avec la cgt parce que Médecins du monde n'est pas au courant de notre lutte, parce qu'on la fait en individuel. Comme ça, on n'a pas le choix, on est obligé de faire des choses qu'on ne devrait pas faire normalement quand on est trop faible, comme se déplacer. Cela met nos vies en danger. Quand la Croix-rouge est passée vendredi soir, ils voulaient nous amener à l'hôpital, mais on a refusé parce que ce n'est pas notre but. On ne fait pas ça pour se faire soigner. » Et Diallo renchérit là-dessus. « Je veux dire encore ça, pour finir. Ce qu'on subit là, c'est la cgt qui fait la combine. C'est la même combine qu'à la préfecture quand on est allé déposer nos dossiers le 30 avril. Ils nous ont dit : "il faut aller voir la CGT". Lorsque nous on en est au 30ème jour de la grève, Médecins du monde nous disent la même chose : "il faut s'adresser à la cgt ou à Droit devant". Je pense que la cgt est en train de faire le jeu des politiques pour essayer de nous faire abandonner la Bourse du travail. Ils font tout pour nous mettre dehors et pour faire peur aux gens pour qu'ils ne viennent pas nous soutenir. La cgt n'assume pas son rôle parce que normalement le syndicat doit défendre tous les travailleurs. Partout on parle de démocratie et de droits de l'homme, or, je n'ai jamais vu Médecins du Monde venir ici. Maintenant, je vous remercie bien et j'espère que vous allez faire un effort pour publier, c'est la première personne qui vient nous interviewer depuis le début de la grève de la faim. »


Meriem, Nora, Adam, Mme Diabaté et Dialo parlent.

La Bourse du travail est devenue la maison des sans-papiers, un lieu de vie à part entière où s'organise la lutte quotidienne. La solidarité est le fondement de l'occupation : on mange ensemble, on dort ensemble, on se bat ensemble. Sans cette communauté de vie qui donne forme à l'unité des revendications, il est clair que le mouvement n'aurait pas pu tenir plus de quelques jours. Chacun a son rôle, chacun participe à l'effort de tous.
Plus discrètes et réservées, les femmes sont particulièrement actives dans l'organisation interne. Il est indispensable que leur voix soit entendue à la mesure de leur importance pour la survie du mouvement.
Cinq d'entre elles, Meriem, Nora, Adam, Mme Diabaté et Dialo ont accepté de répondre.
Elles sont sénégalaises, maliennes, algériennes et mauritaniennes. À la Bourse, « tous des noirs, tous des africains », lance l'une d'elle pour marquer le sentiment d'appartenir à une même famille. La plus jeune, Meriem , a 19ans et demi. Elle est en France depuis 2006. Mais pour la plupart, elles sont arrivées il y a longtemps, plus de quinze ans parfois, pour travailler ou en accompagnant leur mari. Nora était garde d'enfant jusqu'en 2005, déclarée. Son récépissé de deux ans lui a été retiré après son mariage car, pour les autorités, elle ne cherchait qu'à faire régulariser son mari. Elle a dû trouver un emploi au noir, jusqu'à l'occupation. Comme Nora, Mme Diabaté gardait des enfants et suivait une formation d'auxiliaire parentale... mais toujours sans-papiers.
Cela veut dire ne pas pouvoir aller travailler « dans la dignité, sans se cacher », c'est pourquoi elles sont toutes venues ici, rejoindre la coordination 75 à la Bourse du travail. Déjà habituée à la lutte, Dialo participe aux actions de la coordination depuis un an et a naturellement jeté ses forces dans l'occupation. Cependant, la solidarité avec la coordination est tout aussi naturelle de la part de celles qui n'ont rejoint la Bourse que plus tard, après avoir entendu un ami ou les medias en parler. « J'ai entendu parler de l'occupation à la télé et je suis venue les rejoindre. Je suis rentré ici le 6 mai », précise Mme Diabaté. Meriem, elle, est "en famille", avec son cousin, son oncle. Sa sœur aussi est là, assise avec son enfant. Car les mères sont nombreuses, accompagnées de leurs petits garçons et petites filles, et elles sont inquiètes : « Les enfants, tout petits, c'est des innocents, ils ne sont pas en sécurité ici. Ils peuvent attraper n'importe quelle maladie. » Lorsqu'on leur demande pourquoi elles sont là, la réponse est unanime : obtenir la régularisation de tout le monde, de tous les sans-papiers. Elles savent alors que le cas par cas est incompatible avec cette exigence, « parce que nous sommes tous différents ». Mme Diabaté explique ce qui la dérange dans le cas par cas : « On n'en veut pas parce qu'on est tous solidaires. Nous sommes tous du même père, tous frères. C'est la même famille. Si toi tu as des papiers et que tu as un frère qui n'en a pas c'est comme si toi-même tu n'en avais pas. » La solidarité est le mot d'ordre qui unit profondément ces femmes à tous les occupants et à tous les sans-papiers. Elles veulent être là pour encourager tous ceux qui se battent, elles savent que c'est dur, que tout le monde est préoccupé. « On n'est pas tranquilles parce que beaucoup d'occupants ont des familles nombreuses et que d'autres ont leur famille au pays. » D'autres ont laissé leur travail pour faire grève. À l'image d'Adam, elles portent l'espoir que la situation s'améliore et sont confiantes : « Je sais qu'on ne sortira pas de là sans être régularisés. Il faut que tout le monde soit courageux et patient. »
Au quotidien, elles se chargent de nombreuses tâches indispensables comme la cuisine. Chaque jour il faut donner à manger à des centaines de personnes, ce qu'elles font courageusement, aidées par les hommes. Même avec trois enfants, Adam trouve le temps de participer aussi aux manifestations. Toutes, elles n'hésitent jamais à défiler avec les autres dans la rue, à se rendre aux rassemblements. Mme Diabaté ne fait que découvrir ce genre d'actions mais reste toujours avec le groupe : « Je suis ceux qui savent. Je leur fais confiance, sinon je ne les aurais pas rejoints. »
Pour que le mouvement aboutisse, elles sont conscientes qu'il faut que la lutte s'accentue car l'occupation n'est pas le but mais le moyen. Meriem veut rappeler que les occupants ne sont pas là par plaisir : « On n'est pas venu ici pour dormir et manger. On n'est pas là pour ça. Si c'est pour dormir on a des chambres chez nous. Si c'est pour manger on a du mangé chez nous. » Un jour ou l'autre il faudra sortir, mais pas n'importe comment, avec des papiers. Mme Diabaté pense qu'il faut, comme l'ont fait les immigrés aux États-Unis, que tous les travailleurs sans-papiers sortent pour organiser une marche massive : « On a déjà convoqué tous les foyers du 93 pour nous rejoindre. »
Nora attend surtout que s'expriment les hommes politiques car il faut trouver, d'après elle, les bons interlocuteurs pour trouver une solution au problème. L'important c'est que tout le monde entende parler de la Bourse du Travail. L'important c'est que les dossiers aillent de l'avant et ne restent pas en arrière comme c'est le cas actuellement.

 
 
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